Thierry Mechler

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L’art de la démonstration

samedi 1er décembre 2001, par Thierry Mechler


Ce rendez-vous était annoncé comme l’événement discographique de l’année à Guebwiller. II a rassemblé une soixantaine de passionnés, samedi dernier, dans la froideur toute relative de la nef des Dominicains de Haute Alsace à Guebwiller : Thierry Mechler, organiste titulaire des orgues de Thierenbach et professeur d’orgue et d’improvisation à la très renommée Musikhochschule de Cologne, présentait son dernier disque, I’Art de la Fugue, fraîchement sortit des presses du label allemand organum. L’enregistrement de cette oeuvre n’est pas un coup d’essai - Thierry Mechler l’ayant déjà enregistré à l’orgue il y a six ans - mais révèle, au piano cette fois ci, une maturité impressionnante. Les quatorze grandes fugues, et quatre canons que constitue I’Art de la Fugue de Johann Sébastien Bach ont été enregistrés l’an dernier sur le piano Steinway des Dominicains par Klaus Faika, producteur d’Organum, en conditions réelles avec l’utilisation de plusieurs micros disséminés dans l’édifice. Lors d’un enregistrement réalisé en concert l’émotion et la spontanéité sont primordiaux, tout comme le risque, propre au jeu en direct précise Klaus Faika, procéder à l’enregistrement pur et classique, en se permettant de choisir des moments au montage, est certes plus confortable, mais donne au jeu une certaine froideur. Nous avons voulu, avec Thierry, garder la fraîcheur et la spontanéité tout en y mêlent les avantages d’un enregistrement classique. Chaque pièce a été jouée deux à trois fois, la meilleure version étant intégralement gardée pour le disque. Un choix que revendique et défend Thierry Mechler, au piano Steinway, en, proposant à son auditoire une leçon de musique passionnante, abordable pourtour, et illustrée avec enthousiasme sur l’instrument.

Une oeuvre magistrale en guise de testament spirituel

Quelques secrets ont été livrés, quelques doutes aussi : je connais bien l’Art de la Fugue, confie l’artiste, mais je ne la comprends pas encore totalement. L’oeuvre est mystérieuse, sombre, silencieuse, sereine et sans couleur, pour reprendre les mots d’Albert Schweitzer. Dernière oeuvre écrite par Bach et par là son testament spirituel, elle résume à elle seule toutes les musiques existantes avant lui, marquant l’aboutissement de plusieurs siècles de musique polyphonique occidentale, et présente tout ce qu’est la musique et comment il faut l’écrire et la vivre ".

Durant cette matinée, Thierry Mechler a longuement évoqué les symboliques fortes que l’on décèle dans la partition de l’Art de la Fugue. Les chiffres y sont rois, les correspondances gardent leurs mystères, malgré des décennies de recherches musicologiques ou... mystiques. " Je voulais jouer l’Art de la Fugue au piano pour mettre en valeur les voix internes qui ne transparaissent pas à I’orgue, explique t-il, j’ai passé de longues heures en solitaire devant le piano pour sentir les ondes qui passent dans la nef des Dominicains, sentir les pierres, l’ambiance ". Le résultat est largement à la mesure des espérances : le jeu est spontané, enjoué, inspiré, libre et percutant.. " Je voudrais comparer l’oeuvre avec un édifice comme celui des Dominicains : les deux sont construits selon des proportions parfaites, et une foultitude de détails, de fresques.., qui mettent en valeur sans casser les lignes architecturales sonores.. Le livret très fourni qui accompagne le disque a été rédigé avec beaucoup de sérieux et de détails historiques et musicologiques. A noter dans ce livret la participation d’André Schneider, collaborateur à l’Alsace, qui a assuré les traductions de l’allemand au français. Restait un problème, et de taille, pour clore l’enregistrement : la dernière fugue de I’oeuvre n’a jamais été achevée par Bach. Fallait-il terminer par ces quelques notes en suspens ou proposer une autre alternative musicale ? Thierry Mechler propose une vision toute personnelle pour conclure son enregistrement mais tient à garder le mystère. Un de plus, que l’auditeur saura apprécier sans aucun doute.

P.-S.

In DNA 01/12/2001, par Anne SUPLY